Date : Mai 2025
Début mai se tenait le 18ème forum de l’OCDE sur les chaînes d’approvisionnement responsables en minéraux à Paris. Ce fut l’occasion pour des gouvernements et organisations internationales, entreprises et négociants de minerais, investisseurs et bailleurs de fonds, chercheurs et universitaires, ainsi que ONGs et autres acteurs de la société civile, de débattre de la transparence et de la traçabilité des chaînes d’approvisionnement, de la diligence raisonnable et de la gouvernance fiscale, du consentement libre, préalable et éclairé et du partage des bénéfices avec les communautés, de l’égalité de genre, et de la création de valeur locale autour des minéraux critiques.
Des « success stories » ont été partagées et discutées. Malheureusement, elles ne représentent à ce stade qu’une infime partie des situations dans l’extraction minière et les tribulations du projet Base Toliara à Madagascar illustrent bien cette situation. Cet article vise à soulever certaines des contradictions entre les lois, normes et standards existants, et leur manque d’application sans cadre coercitif.

A l’origine le projet fut celui de la société australienne Base Resources pour être ensuite racheté en 2024 par la société américaine Energy Fuels Resources Inc. Depuis la délivrance du permis d’exploitation en 2012 pour 40 ans, plusieurs études – dont 2 études de préfaisabilité de la compagnie minière – ont montré la dangerosité de l’extraction de l’ilménite, zircon et du rutile du fait du risque de radioactivité dans l’air. L’étude de la compagnie minière datée de décembre 2023 va même jusqu’à souligner les risques suivants (Base Resources, 2023, p42) :
Augmentation de l’exposition professionnelle aux rayonnements pour le personnel […]
Accroissement de l’exposition aux rayonnements pour les communautés, l’environnement ainsi que la flore et la faune […]
Risque accru d’incidents et d’exposition des travailleurs, des communautés et de l’environnement à des matières radioactives […] »
Des standards opérationnels appliqués de manière inégale
Malgré les multiples dangers identifiés dans ces études pour les travailleurs, les communautés, la faune et la flore, le projet a néanmoins obtenu l’aval du ministère des Mines en novembre 2024, lorsque le Conseil des ministres de Madagascar a officiellement levé la suspension imposée depuis 2019 [1]. Bien que, depuis 2020, plusieurs standards internationaux encadrant les impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance du secteur minier – notamment le Global Industry Standard on Tailings Management et le GRI 14 : Mining Sector Standard – aient été adoptés, il faut néanmoins noter que ces standards ne s’appliquent qu’aux juridictions qui les ont transposés dans leur droit interne, alors qu’environ 60 % de la production minière mondiale est réalisée dans des pays en développement d’après le rapport World Mining Data 2025 (figure 5, p. 18, Reichl & Schatz, 2025), où la législation sur ces questions demeure limitée, voire inexistante.

Pas de consentement libre, informé et préalable
Un des principaux obstacles au démarrage de l’exploitation demeure la mobilisation – presque ininterrompue – des organisations de défense des droits des communautés locales et de l’environnement. Depuis 2012, plus d’une trentaine de manifestations ont été documentées : parmi les plus marquantes, l’incendie du camp d’exploration suivi de l’arrestation des « Toliara 9 » en juin 2019 [2], l’interpellation du musicien-militant Théo Rakotovao après la marche de juillet 2018 [3], ou encore l’arrestation de l’activiste Solonarivo Tsiazonaly le 27 août 2024 [4].
Enfin, cette situation est d’autant plus préoccupante que le peuple autochtone Mikea devrait bénéficier de la protection particulière prévue par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007) : son article 32 subordonne toute exploitation de ressources sur leurs terres au consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) – un principe qui, dans le cadre du projet Base Toliara n’a pas été appliqué.
Une stratégie de développement du contenu local non définie
Rares sont les exemples de projets miniers dont les retombées ont été majoritairement positives et largement partagées au sein des communautés minières. La littérature sur le secteur fait davantage écho aux promesses déçues en termes d’impacts économiques directs et indirects. Le nombre d’emplois directs par exemple est souvent conséquent dans la phase de construction de l’exploitation minière mais décroît rapidement en phase d’exploitation. Et cette dynamique se renforce dans un contexte de modernisation accélérée des outils : l’adoption croissante de l’automatisation, de la robotique et des centres d’opérations à distance vise à optimiser la productivité tout en réduisant le nombre de personnel et la quantité d’infrastructures nécessaires pour extraire les ressources (Perkin Elmer, 2021).
Malgré l’annonce de politiques de préférence donnée au contenu local, c’est-à-dire aux marchés publics et aux travailleurs locaux, sans stratégie de développement des capacités locales au préalable, ces politiques auront peu d’impact. De tels exemples existent à proximité de la plupart des sites miniers, et plus particulièrement à Madagascar pour les populations autour des mines d’Ambatovy et de QMM (Randrianarisoa, 2022).
Pour la création d’une agence mondiale avec des pouvoirs coercitifs
En conclusion, les normes et standards qui ont pour objectif de maximiser les profits potentiels de l’industrie minière pour un pays et sa population tout en veillant à protéger l’environnement et leur santé existent mais sont encore trop rarement appliqués principalement du fait de défaillances systémiques de gouvernance, de manque de ressources et les pratiques corruptives (Bandura & Hardman, 2023 ; World Bank, 2021). Si les gouvernements des pays en développement ne sont pas en capacité de faire respecter ces normes et standards, alors un cadre mondial applicable de façon cohérente, incluant des sanctions pour les contrevenants doit être mis en place. Lors de cette dernière conférence de l’OCDE sur les chaînes d’approvisionnement responsables en minéraux à Paris, plusieurs intervenants ont prôné la nécessité de créer une agence mondiale capable d’enquêter et de sanctionner les acteurs non conformes de l’industrie. La création d’une telle agence avec des pouvoirs coercitifs représente l’un des rares espoirs que le projet Base Toliara et beaucoup d’autres ne finissent pas comme tant d’autres : une opportunité en demi-teinte voire ratée sur les plans économique, social et environnemental.
Pour sensibiliser les autorités…
Dans cette perspective, il est nécessaire d’inscrire le plaidoyer en faveur d’une agence mondiale dans une stratégie plus large, qui inclut une mobilisation nationale structurée et un engagement clair des autorités malgaches. Pour convaincre celles-ci de soutenir activement une telle initiative, plusieurs leviers complémentaires méritent d’être intégrés au débat.
D’abord, il convient de souligner que l’adoption de normes contraignantes à l’échelle internationale peut offrir aux gouvernements une occasion rare de renforcer leur propre légitimité. Pour Madagascar, cela signifie un positionnement affirmé sur la scène diplomatique comme acteur engagé en faveur de la justice environnementale, de la transparence économique et de la protection des droits des communautés. Une telle posture renforcerait la confiance des bailleurs de fonds internationaux, tout en répondant à une attente croissante des citoyens en matière de redevabilité publique.
Il serait également stratégique d’adosser cette dynamique à une coalition régionale. Un front commun regroupant plusieurs pays africains producteurs de minerais critiques renforcerait le poids politique des demandes exprimées sur la scène internationale. Madagascar, en tant qu’État insulaire au centre de l’océan Indien, a la capacité d’assumer un rôle moteur dans cette construction collective.
Enfin, il importe de replacer les communautés locales au cœur du processus décisionnel. Leurs luttes, leurs résistances et leurs propositions doivent être reconnues non comme des entraves au développement, mais comme les piliers d’un modèle extractif plus juste et plus durable. Ce n’est qu’en rééquilibrant les rapports de force entre industriels, institutions publiques et populations concernées que l’industrie minière pourra véritablement devenir un levier de développement au service du bien commun.
Dr Agathe Randrianarisoa
Rédaction - Diapason
Réferences
Bandura, R., & Hardman, A. (2023). Environmental, Social, and Governance Best Practices Applied to Mining Operations. https://www.csis.org/analysis/environmental-social-and-governance-best-practices-applied-mining-operations
Base Resources. (2023). Toliara Monazite Project Pre-Feasibility Study. https://baseresources.com.au/investors/announcements/
Perkin Elmer. (2021). Modern Mining Trends and Challenges. https://resources.perkinelmer.com/corporate/pdfs/downloads/whp_mining-trends.pdf
Randrianarisoa, A. (2022). Recommandations pour améliorer les impacts de l’industrie minière à Madagascar. https://doi.org/10.13140/RG.2.2.27758.28485
Reichl, C., & Schatz, M. (2025). Volume 40 World Mining Data 2025. https://www.bmf.gv.at/dam/jcr:b778238b-9952-4fee-84ab-f3293b00c4e9/WMD%202024.pdf
World Bank. (2021). The Mining Sector Diagnostic (MSD) Description and Methodology. www.worldbank.org
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Vos commentaires
Merci pour cette « Tribune lLibre » qui me donne envie de poursuivre la lecture, quotidienne, de « Madagascar Tribune » !.
Avec des doutes sur la création, et l’efficacité, d’une « agence mondiale ».
Agence mondiale à portée coercitive ?
Foutage de gueule et USINE A GAZ administrative coûteuse de plus !
Même l’ONU ,
soi disant gardien de la paix mondiale ,
prouve de plus en plus son innocuité :
– des États peu soucieux de la démocratie siègent maintent au conseil de.sécurité , avec droit de VETO !
REVENIR A UN SCORE MAJORITAIRE FERA OBJET DE BLOCAGE.
– lors des conflits armés : on n’hésite plus à tirer sur les casques bleus.
– l’ONU risque la disparition par blocage de fonctionnrment ,
comme feue la SOCIETE DES NATIONS !.
Mieux vaut renforcer les moyens d’action et d’investigation de la C.I.J....
Comme lui permettre une.autosaisine , tout en allégeant ses procédures de fonctionnement trop lentes , car trop lourdes .
Vous disiez « création d’une Agence Mondiale, et de normes contraignantes à l’échelle internationale, enfin de coalition régionale ».
De bonnes initiatives à adopter mais trop illusoires et prennent trop de temps pour se formaliser !
Déjà, en prenant le cas de la CPI, il y de puissants pays qui n’en sont pas membres signataires de son statut de création...et les résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui ne sont ni respectées ni prises en considération par ces mêmes puissants pays.
Et dans le contexte de la géopolitique des grandes puissances militaire et nucléaires mondiales, à l’instar des États Unis, ces grandes puissances sont peu enclines à rejoindre et adopter des initiatives multilatérales et des règles à l’encontre de leurs intérêts économiques et géostratégie de captation de ressources mondiales dont la plupart sont localisées dans les pays pauvres et peu démocratiques...
Bref, dans la situation du moment, l’essentiel et le plus juste, c’est de respecter les vies humaines et l’équilibre environnemental ainsi que la cohésion de la vie communautaire...
La moindre des choses si ce régime persiste dans son entêtement maladif c’est de rendre public un cahier des charges avec le contenu de l’étude d’impact environnemental . C’ est le B-A BA ...
@ Ratovo (post de 11:37)
Bonjour Ratovo !.
Comme vous le dites « la moindre des choses » est de fournir au Public une étude précise d’impact.
En effet, l’extraction de plus de 800 millions de tonnes de minerai sur 40 ans et la création d’une route de 50km pour le transport (quotidien) de ce minerai vers le port de Tuléar, ne pas pas se faire sans dégâts sur la Nature et le Cadre de vie des locaux (exemple les tombeaux de leurs ancêtres).
Ni sur l’impact sur la fréquentation touristique de la zone (fréquentation touristique mise, très souvent, en avant par les « petites mains » - ne pas oublier le million de touristes !.).
Comme l’ « Autoroute », (pour sa partie « Forêt primaire), cette route d’acheminement aura, forcement et pour de nombreuse années, un impact sur la »Réserve Renala".
Bon courage à vous !.
@+
Au nom de la souveraineté, comme tout texte international ; sans ratification et texte d’application interne, cela ne sera qu’une coquille vide, vide sens.
Je doute que le régime actuel milite pour la ratification de ce texte, coercitif en plus.
Déjà, même en cas de ratification, beaucoup d’organismes internationaux prouvent des difficultés à se faire entendre ou à se faire respecter.
Prenons juste l’exemple de l’initiative pour la transparence des industries extractives censée assainir au niveau mondial les flux des matières précieuses et rares.
Or, à Madagascar, 1 tonne par mois, soit 12 tonnes d’or par an sortent clandestinement de Madagascar (Chiffre du Ministre des Mines). 12 tonnes facilement blanchis.
Pour dire que cette initiative, de plus, est élaborée pour faire genre, et n’empêchent pas les pilleurs et les responsables étatiques corrompus d’opérer en toute impunité.
Le combat contre Base Toliara doit se poursuivre sur terrain et sur le plan interne (national).