Introduction
En un peu plus de soixante ans, Madagascar a traversé autant de régimes, de constitutions et de transitions que la France en a connu en près de deux siècles. Rien n’est plus trompeur que la ressemblance entre les textes. Derrière l’emprunt assumé du modèle de la Cinquième République française se joue une autre histoire, celle d’un État né dans l’urgence, construit sur une architecture importée, et pris dans une succession d’accélérations et de dérapages.
Quand la France invente sa République dans la durée
La Révolution de 1789 n’installe pas une démocratie stabilisée. Elle ouvre une séquence longue et chaotique. Il a fallu presque un siècle pour que s’impose un régime parlementaire durable.
Entre 1789 et 1875, la France enchaîne Révolution, Terreur, Empire, Restauration, monarchie de Juillet, Deuxième République, Second Empire. Ce n’est qu’avec les lois constitutionnelles de 1875 que se met en place un ensemble institutionnel relativement stable, où Parlement, gouvernement et président trouvent un équilibre acceptable.
La séparation de l’Église et de l’État, devenue référence, n’est pas un geste immédiat de 1789. Elle est le produit d’un conflit de longue durée, d’accords, de ruptures, de compromis successifs. La loi de 1905 arrive plus de cent ans après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Enfin, la Cinquième République de 1958 est elle aussi la résultante d’une histoire accumulée. Elle vient après la défaite de 1940, le régime de Vichy, la Libération, la Quatrième République et ses instabilités, la guerre d’Algérie. Le renforcement de l’exécutif, puis l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, sont débattus, contestés, intégrés avec le temps.
En résumé, la France a mis près de deux siècles pour passer d’une monarchie absolue à un régime où la séparation des pouvoirs, la laïcité et la pratique démocratique sont relativement stabilisées.
Madagascar, une république née dans l’urgence
L’histoire institutionnelle moderne de Madagascar se joue sur une temporalité bien différente.
La séquence s’ouvre avec la colonisation de 1896, qui abolit la monarchie malgache et intègre l’île dans l’empire français. La souveraineté ne disparaît pas seulement. Elle est confisquée et reconfigurée par un appareil colonial qui impose ses catégories, son découpage du territoire, son mode de commandement.
En 1947, l’insurrection malgache est réprimée dans le sang. Elle pose déjà la question du statut de l’île, de la citoyenneté, de la violence coloniale. Mais elle ne débouche pas immédiatement sur une refondation constitutionnelle. L’ordre français se maintient, en se réaménageant à la marge.
Le tournant est 1958. Dans le cadre de la Communauté française, Madagascar devient République autonome. L’année suivante, la Constitution de 1959 est adoptée. Elle est qualifiée par les historiens de véritable réplique de la Cinquième République française, avec un régime semi-présidentiel, un Parlement bicaméral, un Conseil constitutionnel local. Le président malgache cumule même les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement.
En 1960, l’indépendance est proclamée. La Première République s’installe dans ce cadre. Elle est dirigée par une élite étroite, formée dans l’univers colonial, en lien étroit avec la France. Ce jeune État est doté, dès sa naissance, d’une constitution très sophistiquée qui suppose des partis structurés, une haute administration solide, une justice indépendante, des contre-pouvoirs efficaces.
En trois ans à peine, entre 1958 et 1960, Madagascar est passé du statut de colonie à celui de République indépendante dotée d’institutions modernes copieusement inspirées de la métropole. Là où la France avait mis des décennies à bricoler, ajuster, défaire, refaire, l’île importe un modèle déjà abouti.
Une constitution empruntée, un État surdimensionné
Ce choix d’un transplant institutionnel a des effets lourds.
Le modèle recopié est celui d’un État centralisé, épais, ancien. Il impose une administration nombreuse, une culture de service public, des corps intermédiaires qui amortissent les chocs.
À Madagascar, on plaque cette architecture sur un pays qui sort à peine de la colonisation, où l’administration reste peu nombreuse et souvent concentrée dans quelques villes, où les moyens budgétaires sont faibles, où la société est marquée par des appartenances régionales, familiales, confessionnelles très fortes.
L’appareil hérité de la période coloniale est conservé presque tel quel. La hiérarchie des provinces, des préfectures, des sous-préfectures, la logique de commandement vertical survivent à l’indépendance. L’État se présente comme moderne dans sa forme. Il reste autoritaire dans ses pratiques. Le mimétisme institutionnel produit un État moderne, surdimensionné sur le papier mais fragile dans les faits.
Cet écart structurel ouvre la voie à une captation rapide des postes clés par des groupes restreints. Là où les constitutions affichent une séparation claire des pouvoirs, l’accès aux fonctions devient un enjeu de réseaux, de proximité, de loyautés personnelles.
La France, laïcité patiente. Madagascar, laïcité comprimée
La comparaison est éclairante si l’on observe la place du religieux.
En France, la séparation de l’Église et de l’État est l’aboutissement d’un long processus qui traverse tout le XIXe siècle. Elle résulte d’un affrontement prolongé entre républicains, monarchistes, cléricaux et anticléricaux. La loi de 1905 est un compromis final, très débattu, que la société finit par intégrer.
À Madagascar, la laïcité est proclamée dès la Constitution de 1992, puis réaffirmée en 2010. En moins de trente ans, l’île enchaîne indépendance, expérience socialiste, ouverture démocratique, et adoption d’un texte qui affirme à la fois l’État de droit, la séparation des pouvoirs et la neutralité religieuse.
Mais ce geste normatif rencontre une réalité très différente. Les Églises jouent un rôle central dans la vie sociale, éducative et politique. Elles sont des acteurs de médiation, de contestation et de légitimation. La culture politique malgache reste profondément marquée par la référence religieuse et par le fihavanana, cette éthique des relations qui organise la vie communautaire.
Dans ce contexte, l’État laïc proclamé dans la constitution cohabite avec des pratiques où les autorités religieuses interviennent dans les grandes crises, où les paroles de pasteurs, de prêtres, de responsables d’Église pèsent sur les choix politiques. La laïcité importée n’a pas connu le même temps long de conflictualité qui lui a donné sens en Europe.
Présidentialisme instable et transitions à répétition
Le cœur du modèle importé est un exécutif fort. Dans la version française, ce présidentialisme a été progressivement encadré par des partis, des jurisprudences et des contre-pouvoirs consolidés au fil des décennies.
À Madagascar, ce schéma se transforme en présidentialisme instable.
Les crises successives en témoignent. La chute de la Première République en 1972, la Deuxième République socialiste en 1975, les mobilisations de 1991 qui ouvrent sur la Constitution démocratique de 1992, la crise de 2002, le coup d’État de mars 2009 et la Haute Autorité de Transition de 2009 et, enfin, le basculement militaire de 2025.
À chaque fois, le même scénario se répète. La constitution est suspendue, contournée, réécrite. Un nouveau texte promet un meilleur équilibre des pouvoirs, une démocratie renouvelée, des institutions plus représentatives. Puis la centralisation présidentialiste reprend le dessus, au profit du parti dominant, de l’appareil sécuritaire, et d’intérêts économiques concentrés.
Là où la France a connu quelques grands basculements par coups de force mais séparés par de longues périodes de sédimentation institutionnelle, Madagascar enchaîne les changements de régime à un rythme beaucoup plus rapproché.
Entre 1960 et aujourd’hui, l’île a connu plusieurs républiques, des périodes de transition militaire, des révisions constitutionnelles majeures. La moyenne est celle d’un tournant institutionnel d’ampleur presque tous les huit à dix ans.
Un État chimère entre texte et réalité
Ce décalage constant alimente ce que plusieurs travaux qualifient d’État chimère.
La constitution affirme un citoyen abstrait, détenteur de droits individuels, participant à une communauté politique unifiée. Elle pose la séparation stricte entre vie privée et sphère publique, l’indépendance de la justice, le contrôle parlementaire.
La réalité reste marquée par des logiques de clans, de familles, de régions, par la confusion entre intérêts publics et privés, par la captation de secteurs stratégiques par des groupes d’affaires liés au pouvoir.
La constitution de type Cinquième République française fonctionne comme une façade moderne. Elle permet d’afficher une conformité aux canons internationaux de l’État de droit, de la démocratie, de la laïcité. Elle sert aussi de langage commun avec les partenaires extérieurs, notamment européens.
Mais pour une grande partie de la population, cette façade ne correspond pas à l’expérience quotidienne. L’accès à la justice, les services de base, la protection contre l’arbitraire restent fragiles. L’écart entre le texte et la réalité nourrit une désillusion rapide et renforce l’idée que la constitution est d’abord un instrument au service de ceux qui contrôlent l’appareil d’État.
Une histoire accélérée et un rattrapage impossible
L’héritage de la Cinquième République française ne se réduit donc pas à quelques ressemblances juridiques. Il structure profondément la façon dont Madagascar s’est pensé comme État.
En important un modèle finalisé, le pays a voulu se placer immédiatement à hauteur des standards institutionnels européens. Il a inscrit très vite dans ses textes les mots de la modernité politique. Démocratie. État de droit. Souveraineté populaire. Laïcité. Président élu au suffrage universel.
Mais cette volonté de rattrapage instantané s’est heurtée à plusieurs contraintes.
- Les ressources administratives limitées.
- La faiblesse des partis comme organisations enracinées.
- La centralité de relations personnelles et de réseaux économiques puissants.
- La persistance d’une dépendance extérieure forte.
Le résultat est cette impression d’histoire accélérée. En deux ou trois générations, les Malgaches ont traversé des expériences politiques qu’il a fallu plus d’un siècle et demi aux Européens pour expérimenter, accepter, réguler.
La question n’est pas de regretter ce choix initial ni de fantasmer un retour à un modèle précolonial. Elle est de regarder lucidement ce que produit cette constitution empruntée, dans la durée, sur les pratiques du pouvoir, sur la stabilité des institutions et sur le rapport des citoyens à l’État.
Si l’on veut penser une refondation, il faut partir de cette double réalité. D’un côté, un héritage institutionnel français profondément inscrit dans les textes et dans les routines administratives.
De l’autre, une société malgache qui a ses propres logiques, ses propres temporalités, ses propres attentes vis-à-vis de la justice, de la solidarité, de la représentation.
La refondation à venir ne pourra pas se contenter de modifier quelques articles. Elle devra répondre à cette question centrale. Comment transformer une constitution empruntée en contrat politique réellement approprié. Comment passer d’un État chimère à un État qui parle la langue du pays, sans renoncer aux acquis universels des droits et des libertés.
Sources / Traçabilité
- Chronologies institutionnelles France et Madagascar, comparaisons des républiques et des régimes à partir de la synthèse interne Diapason sur l’histoire parallèle France Madagascar.
- Textes constitutionnels malgaches de 1959, 1992, 2010, et travaux historiques sur le mimétisme institutionnel, le présidentialisme et l’État chimère.
- Documents de contexte sur les crises politiques et les transitions à Madagascar depuis 1960.
- Références de base sur la trajectoire constitutionnelle française, de 1789 à la Cinquième République, mobilisées pour la comparaison des temporalités et des stabilisations.
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Vos commentaires
Isaorana ny Diapason amin’ny fanolorana ity lahatsoratra ity izay tena mifanindran-dalana tokoa amin’ny vanimpotoana sarotra lalovan’ny Firenena Malagasy ankehitriny. Mankasitraka indrindra.
Rehefa novinaky ny vontoatin-kevitra navoitry ny lahatsoratra dia tonga an-tsaina avy hatrany ny fanontaniana vitsivitsy :
1- Raha ny zavamisy eto Madagasikara, natao ho an’iza tokoa moa ny lalampanorenana, moa va ho an’ny mpitondra sa ho an’ny fanjakana sa natao ho an’ny Firenena Malagasy ?
2- Ilay firehana sy lalantsaina « repobilikanina » ve no tsy voafehin’ny fijery sy fisaina Malagasy ka mahatonga ilay lalampanorenana ho lasa « haingo » sy « ravaka » fotsiny aranty eo ambonin’ilay « Repobilika » ?
3- Ilay Fitsarana avo momba ny lalampanorenana izay omena « zo tsy azo ivalozana » amin’ny Didy sy fanapahana raisiny ve no lasa « olana sy vesatra » satria misalotra hatrany fiandaniana sy milonjehitra firehana ka lasa loharano ipoiran’ny disadisa ara-politika eto amin’ny Firenena hatrany ?
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Mipetraka ny fanontaniana satria raha ny zavanisy niainana teto amin’ny Firenena ohatra no tsiahivina, dia efa tao anaty lalampanorenana nanomboka hatrany amin’ny Repobilika fahatelo sy fahefatra ny mikasika ny fitsinjarampahefana amin’ny alalan’ireo vondrom-bahoaka itsinjarana ny fahefana, nefa dia efa fitondrana politika dimy (Zafy, Ratsiraka, Ravalomanana, Rajaonarimampianina, Rajoelina) no nifanesy nitondra ity Firenena ity fa tsy nisy na iray aza tamin’izy dimy ireo nanaja sy nampihantra izany.! Fa maninona no afaka nanao izany izy dimy ireo, na koa hoe, fa maninona no navelantsika vahoaka Malagasy hanao toy izany izy dimy ireo ?
Rehefa niditra ankeriny tamin’ny ady sy fanafihana teto Madagasikara ny mpanjanatany frantsay, dia nopotehany sy noverezina zo sy Hasina ny rafitra andriamanjaka nisy eran’ny Nosy mba hampitoerana ny fahefana sy ny fanapahana frantsay eto.
Tsy tonga ho azy teto nilatsaka avy any andanitra nefa ireo rafitra andriamanjaka ireo fa nateraky ny rindra-piarahamonina nisy fahizany sy ny fihezahana ho fifehezana ny lafintany sy ho fampanjariana fomba sy fisaina ary fanehoana kolontsaina.
Ahoana ny amin’ity hoe « zo tsy azo ivalozana » izay omena rafitra iray izay tsy nahazo tsodrano sy nomenkasina avy amin’ny vahoaka akory ?
Izany « zo tsy azo ivalozana » izany nefa fahiny dia ny andriamanjaka irery ihany no nisalotra azy, nefa ny fampiharany izany aza dia matetika mbola nialohavan’ny « teny nierana » ihany.!
Maninona ary no navelantsika Malagasy ho nisy olona sy rafitra nisalotra fahefan’ny « mpanjaka » nefa ilay rafitra lazaina hoe repobilikanina aza toa noheverina fa manome Hasina ny fiandrianam-bahoaka.?
Ho fehin’izay nambara, dia fanamarihina no tiana hisongadina hamintinana ny hevitra navoitra :
Ny tsapa sy hita dia ity : ny fisainana sy fijery ary zava-pady sy tena sarobidy voarakitra ao anatin’ny savaranonando na « préambules » ao amin’ny lalampanorenana dia tsy hita sady tsy voasoritra no mbola tsy natao ho lalàna voalaza any amin’ny lalampanorenana isantoko sy isanandininy mihintsy.
Ohatra singanina ny amin’ny resahana matetika ny momba ny natao ho fady amin’ny fizakantany omena vahiny na koa ny mikasika ny famadihana sy fivarotana ny tanindrazana amin’ny endrika maro...
Au moment de l’indépendance conditionnelle de 1960
On le sait, sans avoir de flots d’explications.
Toutes les ex colonies n’ont fait que SINGER les institutions françaises.
Mais
la France.est une vieille démocratie où les CONTRE-POUVOIRS jouent pleinement leur rôle.
Dans les ex colonies l’élection du président au suffrage iniversel direct, (dans des pays à notion démocratique balbutiante, ) a installé le CESARISME.
CESARISME souvent glissant en DICTATURE.
Cesarisme d’autant pernicueux qu’il suffit D’ACHETER le César à pouvoir personnel exorbitant....pour asseoir sa propre nuisance politique et économique
( INGÉRENCE SACRALISEE par les accords de coopération neocolonialistes de 1960)
Et c’est ainsi que prit place le neocolonialisme par UNE MAFIA FRANCO-MALGACHE ET KARANA DE CORRUPTION INSTITITIONNALISEE
QUI KIDNAPPE LE POUVOIR.....
....Pouvoir qui priorisera LES INTERETS FRANÇAIS.
Les traîtres indigènes font légions avec des karanas vazaha taratasy sans aucune attache patriotique pour Madagascar.
LE RESULTAT est démoniaque de misère et de pauvreté pour le peuple.