
J’écrivais il y a (déjà !) 13 ans [1]« […] cette transition n’est pas la première que vit le pays … 1960, 1972, 1975, 1991, 2002 … Si on ne bat pas un record là, on ne doit pas en être bien loin … Le pays vit des crises à répétition, c’est une LaPalissade. Mais, justement, n’est-il pas intéressant de s’attacher non pas aux crises elles-mêmes, mais à ces périodes de transition manquées, à leurs dynamiques propres et aux processus inaboutis qui auraient théoriquement dû résoudre le problème de la démocratisation du pays »… Et si on rajoute désormais à cette énumération 2009, 2025 … La question se pose donc de manière encore plus aigüe… Parce qu’aucune des transitions politiques successives n’a permis de restaurer la confiance entre l’Etat et les citoyens. Le mot transition s’est usé à force d’être invoqué sans jamais produire de rupture réelle avec les pratiques du passé.
C’est dans ce contexte qu’un ami m’énonçait : « Une transition de deux ans n’est pas crédible, sauf si nous organisons une justice transitionnelle pendant la transition politique. »
Cette affirmation, d’apparence technique, pose une question centrale : comment redonner sens à une période d’exception sans qu’elle ne se transforme en une nouvelle parenthèse de consolidation pour les forces déjà en place ?
La réponse tient dans un postulat simple en forme de rappel : la justice est le fondement de toute légitimité politique durable.
La transition : un outil exceptionnel qui exige un contrat moral
Une transition n’est pas un régime de gouvernement ordinaire. Il s’agit d’un moment d’exception qui doit réparer une rupture de l’ordre constitutionnel et à préparer le retour à la légalité républicaine… ET à la légitimité du pouvoir… Mais cette réparation ne peut être seulement institutionnelle. Elle doit être également morale et politique.
Dans le cas présent, la Charte de Transition de la République adoptée par le Conseil de Défense Nationale de Transition (CDNT) semble fixer des principes : restauration de l’éthique publique, refondation de l’État, réconciliation nationale, retour à la légalité…
Mais ici la durée envisagée de vingt-quatre mois, possiblement renouvelable une fois, ne peut être justifiée que si elle s’accompagne d’un engagement ferme à rendre compte des dérives du passé… Et à prévenir leur répétition. Si c’est pour laisser le champ dévasté dans le même état, autant rendre la main sous 60 jours.
Le temps de la transition ne doit pas se mesurer en mois, mais en sincérité. Deux ans peuvent suffire à condition que chaque jour soit consacré à rétablir la confiance du peuple dans l’État … Donc à réhabiliter les institutions … Donc à restaurer la vérité.
La justice transitionnelle : un instrument de vérité et de refondation
La justice transitionnelle n’a pas pour vocation de punir systématiquement. Elle n’a pas vocation à venger. Dieu nous garde de réinventer la Terreur à la malagasy et ses horreurs… La justice transitionnelle vise à établir la vérité, à reconnaître les torts, à réparer les victimes … Et veut garantir qu’on ne répète plus ces dérives et ces abus.
Elle devrait se déployer à travers plusieurs leviers : a) la mise en place de commissions vérité et réconciliation (« encore !!! » diront justement certains… Mais que celles-ci soient effectivement mises en place et en opérantes) b) l’ouverture des archives politiques et militaires, c) la reconnaissance publique des violations des droits fondamentaux et d) la réforme des institutions judiciaires et sécuritaires.
Dans notre contexte malagasy, cette démarche est incontournable. Les crises de 1972, 1991, 2002, 2009 et 2025 ont toutes en commun un enchaînement de violations des droits humains, de manipulations institutionnelles et de compromissions entre élites politiques, militaires et économiques, qui elles-mêmes ont fait suite à des logiques de spoliation, de corruption, de népotisme et autres collusions.
Les alliances bleues symbolisent ce mélange des sphères de pouvoir où se sont confondues autorité politique, force armée et intérêt privé. Ce sont ces interconnexions, souvent évoquées, parfois fantasmées mais jamais élucidées qui nourrissent ce sentiment d’impunité. Sentiment d’impunité qui mine la crédibilité de tout processus dit de transition.
Cette commission indépendante vérité et justice devrait donc être instituée dès le début de la période transitoire. Sa mission ne serait pas de juger en lieu et place des tribunaux, mais de produire un récit officiel, documenté, des dérives du passé et de formuler des recommandations contraignantes pour la réforme des institutions.
Récit qui servira de socle, ENFIN, à la construction d’une Histoire acceptée par tous… Et d’une Nation.
La vérité comme condition de la réconciliation
La Charte de Transition évoque la réconciliation nationale comme objectif central, mais sans en préciser les instruments. Cette réconciliation ne peut être décrétée. Elle suppose la reconnaissance de la vérité et l’engagement la réparation des injustices. Elle ne serait, sinon, qu’un nouvel artifice politique : une amnistie de fait qui efface les fautes sans corriger les causes.
Les transitions précédentes ont peut-être échoué pour cette raison : certains ont confondu RECONCILIATION et OUBLI (commode). En 2009, la HAT avait déjà promis la moralisation de la vie publique et la justice pour les victimes. A-t-on vu autre chose que de l’engagement purement et idiotement symbolique.
Les acteurs responsables des précédentes dérives institutionnelles n’ont-ils pas été jusqu’ici (ré)intégrés dans le système politique sans avoir à rendre de comptes. Ce processus mortifère alimente le scepticisme populaire et décrédibilise les institutions qui seront issues des prochaines élections.
Une réconciliation durable repose de fait sur un diagnostic partagé du passé. Cela implique de rendre visibles les responsabilités : celles des dirigeants, des forces justice et de sécurité, mais aussi des réseaux économiques qui ont profité du chaos (KO ?) de l’État. Sans cette mise à plat on ne fera que préparer la prochaine crise. En particulier si la transition ne garantit pas a minima sa transparence, son indépendance et sa capacité à la reddition des comptes.
Ces garanties constituent le socle d’un État transitoire légitime. Elles traduiront la volonté ou non de substituer d’une part la redevabilité à la Nation à la personnalisation du pouvoir et, d’autre part, la transparence à la connivence.
Et ici, les enjeux d’indépendance en termes d’organes de justice transitionnelle sont essentiels. Ces organes doivent être composés de personnalités reconnues pour leur intégrité et non affiliées à des partis ou des institutions militaires. La présence d’experts étrangers ou d’observateurs régionaux pourrait idéalement renforcer cette crédibilité, sans qu’elle puisse pour autant porter atteinte à la souveraineté nationale.
La transition, un temps limité pour une œuvre durable
Deux ans peuvent paraître courts pour reconstruire un État. Mais 730 jours paraîtront longs pour une population qui attend désormais des résultats tangibles. L’enjeu n’est donc pas la durée, mais la clarté des priorités.
Rétablir la justice et la vérité historique à travers une commission nationale indépendante, réformer les institutions garantes de la démocratie, préparer des élections inclusives et crédibles sont trois chantiers prioritaires de la transition qui se met en place.
Toute autre ambition – au-delà des logiques de redressement économique et d’actions sociales immédiates – que seraient la rédaction précipitée d’une nouvelle Constitution, la multiplication des ministères, ou la recherche de consensus artificiels —diluerait la mission première de la transition : rendre l’État à la Nation.
La justice comme condition de la légitimité
La transition ne sera jugée que sur un seul critère : aura-t-elle restauré la confiance des Malagasy dans leurs institutions ? Cette confiance ne naîtra ni de promesses, ni de discours, mais de la conviction que nul n’est au-dessus de la loi.
Organiser une justice transitionnelle n’est pas un luxe académique, c’est une exigence politique et historique. Elle seule permettra d’interrompre le cycle des crises, d’assainir la vie publique et de rendre aux citoyens le sentiment que la République existe encore.
Deux ans de transition ne seront crédibles que s’ils sont deux ans de vérité, de justice et de réforme. Sans cela, la période ne fera que reproduire l’histoire d’une République suspendue, incapable de se juger pour mieux renaître. La justice n’est pas un volet secondaire du processus politique : elle en est le cœur, la condition de légitimité et la seule promesse que la transition puisse tenir envers le peuple malagasy.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) 18/10/25
Les Chroniques de Ragidro
-----
Vos commentaires
Votre résumé de cet article est très juste ! J’adhère pleinement à cette analyse ! Merci !
Répondre
Merci Pitchboule
Il y a restructuration totale pour FAIRE TABKE RASE DES DEMONS DU PASSE
– DEPUIS 1960
– LE CHANTIER EST VASTE ( surtout une REFONTE CONSTITUTIONNELLE INDISPENSABLE : élection PR ? REGIONALISME ?)
EN MEME TEMPS
* rester TRES METHODIQUE
* savoir CHOISIR SES CONSEILLERS ( RANJEVA ? ZAFIMAHOVA SERGE ?)
SE FIXER 18 MOIS À DEUX ANS
AU MAXIMUM !!!!!!!!!
POUR DES ELECTIONS
ENFIN LIBRES ET SINCERES
EST ACCEPTABLE
GEN Z tout au long du processus doit avoir don COMITE DE SURVEILLANCE PERMANENTE
Répondre