Vu d’en bas — c’est-à-dire depuis les commentaires Facebook, les discussions de forums, les conversations au coin des gargotes — la séquence gouvernementale actuelle ressemble à un festival de parapheurs : on démet, on révoque… puis on (re)nomme… à la chaîne. Une avalanche de textes, de remplacements, d’intérims, de “DG par-ci, SG par-là”, jusqu’à cette séance du 22 décembre qui a frappé les esprits par son volume : 128 nominations d’un coup. Cent vingt-huit. Voilà. Rideau. Applaudissements… ou huées.
Alors oui : le public a des raisons d’être agacé. Une transition, même fragile, ne devrait pas donner l’impression de pagaille et d’impréparation permanente. Parce qu’à Madagascar, on a une mémoire politique : les “réorganisations” à répétition finissent souvent par être le masque du même vieux sport national — la redistribution des places, des moyens, des réseaux.
Mais si on se force à regarder la mécanique — et si on se force à ne pas seulement écouter le bruit — on peut y lire une cohérence stratégique.
Il était (il est) urgent de reconstituer un appareil d’État en mode “verrouillage rapide”, tout en bricolant une coalition politique hétéroclite : fidèles, ex-opposants, technocrates, dissidents de l’ancien système, figures “Gen Z”… J’avais écrit récemment sur cette course contre la montre : on en est toujours là. La grande aiguille tourne trop vite. Et quand une transition sent le sol trembler, elle ne commence pas par philosopher : elle commence par sécuriser.
En regroupant les nominations par “blocs”, on peut lire quatre séquences.
Séquence 1 — Changer les serrures : finances, renseignement, coercition
Une transition qui vient d’arriver ne gouverne pas d’abord par des lois. Elle gouverne d’abord par les leviers qui font obéir. Et ces leviers — à Madagascar comme ailleurs — sont connus : recettes publiques (douanes/impôts/trésor), renseignement, forces de sécurité.
Le 5 novembre illustre ce réflexe : des hauts responsables du ministère des Finances sont relevés, sur fond de soupçons et de contrôle renforcé. Dans le même mouvement, la Présidence musclait son dispositif : secrétaire général, sécurité à la Présidence, agence anti-fraude (ANAF) placée haut, très politique.
Bon… Ce n’est pas “joli-joli” en termes de perception : ça ressemble à une purge. Mais à regarder froidement, c’est lisible : si tu ne contrôles pas la caisse et le renseignement, tu ne contrôles rien.
Encore faut-il espérer que ces contrôles ne servent pas à rediriger les flux indispensables vers la bourse des nouveaux dirigeants. On peut y croire… On veut y croire.
Deux semaines plus tard, autre verrou : la gendarmerie. Le 20 novembre, pluie de nominations, réorganisation, repositionnements. On peut crier au militarisme, à la panique, à l’obsession sécuritaire. Mais une transition, surtout quand elle entend des forces “réactionnaires” grogner, cherche d’abord à neutraliser le risque de sabotage, de double chaîne de commandement, de loyautés concurrentes. Et des loyautés concurrentes, dans notre histoire récente, on sait ce que ça coûte.
Séquence 2 — Reprendre le territoire : “intérim sous laisse”
Le cœur du pays, ce n’est pas Iavoloha : c’est la capacité à faire exécuter dans les régions. Un pouvoir qui se laisse déborder par la périphérie signe son acte de décès à l’encre administrative.
Ici, la transition a choisi une formule significative : l’intérim encadré, budgétairement bridé. L’arrêté n°34794/2025 (2 décembre) désigne, région par région, des responsables chargés de “l’expédition des affaires courantes”, avec habilitation limitée à certaines dépenses : salaires, cotisations, contributions… mais exclusion des indemnités.
Politiquement, c’est un message double : aux barons locaux « vous n’aurez pas la main sur le robinet » ; aux citoyens « on assure le minimum vital, on évite la razzia ».
C’est aussi une manière de gagner du temps : on bloque le terrain sans figer une architecture territoriale définitive, le temps de trier les loyautés, les compétences, les réseaux… et les arrangements.
Séquence 3 — Contrôler le récit : médias publics et diplomatie
Une transition qui ne maîtrise pas le récit se fait manger par le feuilleton et le wera wera : rumeurs, procès d’intention, nostalgies (“on nous a volé la révolution”), contre-nostalgies (“on va livrer le pays”), et ce bruit de fond qui tue les gouvernements plus sûrement que les motions.
D’où la reprise en main de l’audiovisuel public. Conseil des ministres, ajustements, nominations : on reste dans le classique. Oui, on peut hurler au muselage de la liberté d’expression. Mais la transition, elle, pense : “le récit doit être contrôlé”. Et à mon humble avis, on n’a pas fini.
Sur le front extérieur, le geste est tout aussi symbolique : abrogations et repositionnements diplomatiques. Ce n’est pas seulement “on change des personnes”. C’est : on coupe des lignes, on retire des relais, on signale aux partenaires que la hiérarchie a changé. La stratégie attribuée à Christine Razanamahasoa (ancienne MAPAR passée à la dissidence) vise, dit-on, à démanteler des réseaux d’influence de l’ancien régime à l’international. Qu’on l’approuve ou qu’on la redoute : c’est cohérent.
Séquence 4 — Le vrai sujet : fabriquer une coalition avec des pièces qui se détestent
Les nominations sont un puzzle d’équilibres. On voit une architecture de “large ouverture” où cohabitent figures de l’ancienne opposition (TIM/collectifs), dissidents de l’ancien système, technocrates, profils société civile / “Gen Z”, bloc sécuritaire assumé.
La logique est simple : on ne peut laisser personne dire “ce pouvoir n’est qu’un nouveau clan”. Alors on distribue les bons points sur la base de a) la légitimité morale (anciens opposants, figures “anti-système”) ; b) la capacité d’exécution (sécurité, administration, finances) ; c) la crédibilité technique (technos, gestionnaires) ; d) la connexion à la rue et aux réseaux (symbolique “Gen Z”, communication).
Sauf que cette coalition a une faiblesse structurelle : ses morceaux n’ont pas la même définition du but, de l’agenda, de l’urgence.
Pour certains, la transition doit d’abord punir (justice, reddition des comptes)… et vite.
Pour d’autres, elle doit d’abord stabiliser (continuité de l’État, services essentiels).
Pour d’autres encore, elle doit réformer vite (énergie, JIRAMA, coût de la vie), sous peine de se faire bouter dehors par la déception.
Et c’est ici que la méga vague du 22 décembre prend sens : ce n’est pas seulement un panier fourre-tout administratif. C’est un achat de temps politique. Une tentative de densifier le filet du pouvoir avant que la contestation — et elle peut se reconstituer rapidement — ne retrouve ses appuis, ses financements, ses narratifs.
En fait, on a ici une séquence très “gramscienne” : Gramsci énonçait que tenir l’État ne suffit pas ; il faut construire une hégémonie, faire passer son ordre pour “normal”, “nécessaire”, “protecteur”, presque “évident”.
Là où ça pêche
On peut reconnaître la logique, mais critiquer quand même la méthode. Les lacunes flagrantes sont connues :
- Le rythme détruit la lisibilité. 128 nominations d’un coup, même si certaines sont techniques, fabrique un sentiment d’improvisation : “ils courent partout”.
- Le turnover affaiblit l’État qu’on prétend sauver. Abroger/nommer en rafales casse la continuité, démoralise les troupes, transforme l’administration en champ de bataille permanent.
- L’opacité nourrit la suspicion de copinage. Même si les profils sont solides, le public n’en sait rien. Sans critères, sans doctrine, la nomination devient rumeur.
- La politisation du régalien est un pari dangereux. Verrouiller sécurité/renseignement peut stabiliser… ou installer la tentation de gouverner par la peur.
- Le “casting Gen Z” peut tourner au gadget. Nommer des figures visibles ne suffit pas. Sans résultats concrets (eau, électricité, prix, sécurité), la jeunesse ne se dit pas “représentée” : elle se dit “récupérée”.
Couper court au procès en amateurisme
Si la stratégie paraît cohérente, elle souffre d’un défaut mortel : elle n’est pas racontée proprement. Une transition doit être impitoyable sur la méthode, parce que sa seule monnaie, c’est la confiance.
Il aurait fallu publier une doctrine de nominations : critères, durée d’intérim, objectifs, lignes rouges anti-conflits d’intérêts.
Il aurait fallu des lettres de mission publiques sur les postes-clés (finances, énergie, sécurité, territoires), avec indicateurs à 30/60/90 jours.
Il aurait fallu un mécanisme de redevabilité (audit, rapport périodique, comité citoyen) — exactement ce que toute charte de transition prétend brandir quand elle parle de transparence et de refus du népotisme.
Bref : oui, ces nominations ont tout l’air d’un jeu de chaises musicales… et on connaît le danger de ce jeu. Elles reflètent surtout le stress d’une transition qui sait qu’elle peut mourir d’un détail : une recette fiscale qui fuit, une région qui s’autonomise, une gendarmerie qui hésite, un média public qui dérape, une rumeur qui enfle. Alors elle verrouille, elle replace, elle tisse.
Le problème, c’est qu’à force de verrouiller sans expliquer, elle donne au pays l’impression d’être dirigé par un gouvernement en déménagement permanent. Et à déménager trop souvent, on finit par casser les meubles.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule) - 28/12/2025
Les Chroniques de Ragidro
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Sources :
2424.mg+1
Midi Madagasikara
cnlegis.gov.mg
L’Express de Madagascar+2Orange actu Madagascar+2





Vos commentaires
Rappel des reproches formulés à l’endroit du régime déchu dirigé par le bandit fuyard...
* Les mensonges d’État à profusion partout où le Calife se montre...
* Beaucoup de promesses mais tres peu de réalisations tangibles...
* Les tres modestes réalisations de l’ancien régime étaient soit éloignées des préoccupations urgentes de la population, soit des improvisations en dehors du cadre des promesses électorales et destinées à tromper les franges de la population laissées à l’écart de la politique publique.
Et le régime actuel au pouvoir, issu d’un coup de manipulation de texte constitutionnel par une Cour aguerrie à l’appui de l’autorité exécutive dans la capture de l’Etat, se démarque par deux constantes repetitives :
* Une cruciale absence de cohérence dans ses actions et mesures par rapport aux revendications formulées lors de la révolte populaire ayant abouti à la fuite du Calife de l’ancien régime
* Un style de gouvernance marqué par de fréquents rétropédalages prononcés et aboutissant de fait à la continuité de l’Etat, un état déplorable et lamentable laissé par les pratiques de l’ancien régime...
Quelques illustrations de ces états de faits...
Deux mois de période de grâce annoncée lors de la nomination des membres du gouvernement avec une exigence de résultats tangibles... mais au bout de la période, rien de réalisations significatives obtenues !
Une transition politique annoncée pour fonctionner dans le cadre d’une politique d’austérité budgétaire, mais depuis, les nominations se font à tour de bras à tout bout de champ sans qu’il y ait ni formulation d’indicateurs de performance ni exigences de résultats immédiats eu égard à la dégradation avancée de la situation sociopolitique et économique au pays...
En somme, le régime militaro-civil dirigé par les cinq Colonels ne parviennent ni à sanctionner légalement les nombreuses malversations et actes délictueux perpétrés par les politiciens et membres de l’ancien régime...ni à impregner des marques du changement exigé par la révolte populaire ses pratiques de gouvernance...
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Aslm alkm
Prendre le pouvoir peut se faire par n’importe quels moyens. Se maintenir au pouvoir et assurer une bonne gouvernance releve d’un parcours de combattant, objet de judgement sans complaisance qui ne pardonne pas : Des sanctions et jamais des motivations ou l’echec se comptalise mais pas la reuissite.
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Salama djaiby .
Patrick merci pour cette analyse toujours aussi pertinente pour ne pas dire percutante ...
A leur décharge il faut reconnaitre que les militaires n’ ont ni vocation moins encore formation pour diriger un Pays .
Vous me répondrez ( avec justesse) que les arrivistes parvenus qui se sont succédés non plus !
A croire que pour « gouverner » je ne dis pas diriger il faut avant tout être une crapule sans foi s’ asseyant sur les lois avec la complicité d’ un entourage qui ne voit que les prébendes & avantages qu’ il peut en tirer ...
Une rivalité de clans (je ne dis pas mafieuse) qui ressemble à s’ y méprendre aux cartels colombiens .
La sequence 4 est édifiante concilier des vautours avides qui ne s’ apprécient par particulièrement relève d’ exercices de haute voltige dont les résultats sont toujours plus qu’ improbables et majoritairement loin des prévisions et objectifs escomptés , pour ne pas dire une manoeuvre (non pas fine mais) risquée , bien qu’ incontournable moins encore inévitable
Je dirai simplement : « que le premier qui n’ a jamais fauté lui lance la première pierre » ...
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Record depuis 65 ans.
« Conseil des ministres : 564 nominations aux hauts emplois de l’Etat en l’espace de deux mois
A peine qu’ils prennent les commandes, les militaires n’ont pas tergiversé mais jouent la montre à fond pour assiéger l’administration.
Le coup d’envoi a été donné sans hésitation. Depuis la fin octobre et jusqu’à la fin de cette année 2025, le nouveau régime a multiplié les offensives institutionnelles en tenant 11 conseils des ministres et en validant 564 nouvelles nominations. Un chiffre lourd, un rythme soutenu, presque sans temps mort, qui illustre la stratégie de l’exécutif notamment d’occuper le terrain administratif avant que l’adversité ne se réorganise. Dans ce marathon politique mené à vive allure, les hauts emplois de l’État ont été les premiers à changer de maillot. Secrétaires généraux, directeurs généraux, directeurs techniques, personnes responsables des marchés publics, ces postes clés au sein des institutions, des ministères et des établissements publics ont été largement redistribués. » Extrait Midi
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