Tany tan-dalàna et Soatoavina malagasy : espèces en voie de disparition

Les autorités actuelles tentent de résister pour que l’affaire des Boeing 777 ne devienne pas un tsunami à cause de l’effet cumulé avec tous les autres scandales de ce régime. S’il fallait faire le hit-parade des mécanismes de défense des autorités malgaches, aussi bien les actuelles que les précédentes, il y a deux phrases qui reviennent systématiquement : “tany tan-dalàna i Madagasikara”, et “tsy manaja ny soatoavina malagasy”.

Le “tany tan-dalàna” est un hymne à l’État de Droit, devenu une litanie depuis qu’Ampy Portos, ministre de l’Intérieur de Didier Ratsiraka sous la Deuxième république, l’avait popularisée pendant ses émissions quotidiennes sur la Radio nationale. Malheureusement, la litanie a perdu de sa crédibilité depuis 2009, car elle est juste devenue la colonne vertébrale d’un juridisme sans scrupules pour protéger le clan au pouvoir et nuire aux opposants. Toutefois, une réalité est évidente : le régime Rajoelina n’a aucune crédibilité pour se poser en porte-flambeau de l’État de Droit.

L’appel aux soatoavina malagasy, les valeurs ancestrales, est une autre litanie souvent utilisée par les autorités pour exiger le respect dû aux aînés dans la culture malgache, réminiscences des valeurs héritées de nos lointains ancêtres asiatiques. Mais une autre réalité est évidente : le régime Rajoelina n’a aucune crédibilité pour se poser en porte-flambeau des valeurs ancestrales. Le fivavahana, le rariny et le hitsiny, la crainte du tsiny et du tody, la recherche du marimaritra iraisana, ainsi que le fifanajàna commencent à ressembler aux espèces endémiques : espèces en voie de disparition.

Le grand écart

De quel tany tan-dalàna et de quels soatoavina parle-t-on dans un pays où les exemples d’impunité se multiplient dans le silence complice du pouvoir envers ses alliés (affaires Smmc, écrans plats, Romy Voos, Herilaza Imbiky etc.) ? De quel tany tan-dalàna et de quels soatoavina parle-t-on quand le système judiciaire se fait le paillasson de l’Éxecutif dans d’étranges décisions d’arrestation et d’emprisonnement, allant d’un pouce renversé au passage du cortège présidentiel à l’utilisation de l’expression “Jirama-ndoza” dans une publication sur Facebook ? De quel tany tan-dalàna et de quels soatoavina parle-t-on quand les hiérarques du pouvoir actuel puisent leurs racines dans un coup d’État, ayant ainsi démontré le peu de cas qu’ils font du respect des valeurs démocratiques et des règles de l’Etat de Droit.

Le Droit et la légalité ne sont pas toujours en accord avec le juste et le légitime, même s’ils sont censés les refléter. Rappelons qu’en leur temps, l’apartheid, la colonisation, la peine de mort, l’esclavage étaient légaux. Il n’y a donc aucune raison de s’attendre à ce que le préfet de police d’Antananarivo, les juges des tribunaux malgaches ou la Haute cour constitutionnelle soient systématiquement scrupuleux du rariny. La seule chose qui les préoccupe est de trouver comment manipuler à qui mieux mieux les dispositions juridiques existantes pour interdire les manifestations pacifiques de l’opposition, réprimer sous divers prétextes fallacieux ceux qui affichent trop ouvertement une opinion hostile aux dirigeants, ou rejeter les requêtes électorales.

Bref, de quel tany tan-dalàna et de quels soatoavina parle-t-on quand les autorités pratiquent allègrement et sans aucun scrupule la corruption, les arrestations arbitraires, les fraudes électorales ? De quel tany tan-dalàna et de quels soatoavina parle-t-on quand l’atteinte à la sûreté de l’État est utilisée à tort et à travers pour sévir contre les citoyens et opposants qui expriment des opinions contraires à la quiétude des dirigeants, alors que tant de copains et de coquins du pouvoir se baladent allègrement en toute impunité ?

Au-delà de l’évocation des grands concepts, il ne faut pas oublier que cette déliquescence des valeurs démocratiques et civiques a des impacts concrets dans la société. Cela va de l’insécurité galopante aux malappris qui urinent sans vergogne à tous les coins de rue, en passant par la multiplication des cas de pédophilie, ou encore la diffamation et la vulgarité devenues modes d’expression sur les réseaux sociaux.

Direction Haïti ?

La question se pose donc : qui est responsable de cette situation ? Bien entendu, l’exemple vient d’en haut, et il est mécanique que le comportement piteux des dirigeants à tous les étages se reflète finalement dans la population. Mais pourquoi les balises, les repères et les gardes-fous ne sont plus en mesure de limiter les dégâts ? La HCC cautionne les viols de la Constitution qu’elle est censée protéger. Les Maîtres de karaté autrefois respectables cautionnent l’octroi de hauts grades de complaisance. L’intimidation ou la corruption amènent au silence des médias et à la délégitimation du système judiciaire. La société civile n’arrive pas à créer un effet d’entraînement avec une masse critique de la population. Les partenaires techniques et financiers se font complices silencieux des dérapages du pouvoir, à l’exception de l’Union européenne qui reste droite dans ses bottes, d’Isabelle Delattre à Roland Kobia.

Ce verrouillage sans scrupules du système politique par le pouvoir ne peut que pousser les opposants vers des méthodes sans scrupules, comme on l’a vu en 1991, 2002, 2009 et 2018. Chaque crise a porté un coup à des institutions déjà fragiles Au final, nous avons une société en perte de repères et un pays qui risque de s’acheminer vers ce qu’est actuellement Haïti, sous le contrôle de gangs armés et de milices vivant de divers trafics, le tout dans un océan de pauvreté et de faillite de l’État. Est-ce vraiment ce que nous voulons ?